« Le changement climatique est un problème majeur » et « nos modèles économiques doivent être révisés ». Autour de ces deux idées s’est constituée une communauté de blogueurs, sans chef ni hiérarchie : les freemen. Tout en conservant leur liberté d’opinion, ils entretiennent un réseau où émergent, en marge des grands médias, des débats et des informations inédites.
Ni élection, ni chef, ni mot d’ordre. Les freemen n’ont en commun que deux choses : l’adhésion à deux constats généraux sur notre planète et, sur leur page, un lien vers la liste des blogs freemen. C’était trop simple pour que je le comprenne tout de suite. Alors j’ai rappelé ceux croisés à la République des Blogs, parcouru leur blogosphère, envoyé des mails. « Avoir trois freemen pour une interview... C’est beaucoup demander ! » m’a prévenu Hugo, du blog Regard sur... Pourtant, quand je suis arrivé au pavillon Baltard, à Paris, ils étaient six à débattre en m’attendant. Tous blogueurs, tous freemen.
Le plus petit dénominateur commun
Ils se connaissent tous plus ou moins, se sont lus, ont discuté, face-à-face, sur leur blog ou au Freemen café (leur forum). Ce qui les réunit : les fameux constats.
1. Le changement climatique est un problème majeur, pas uniquement écologique, mais aussi politique et économique.
2. S’attaquer à ce problème implique une remise à plat de nos modèles économiques et, particulièrement, de la notion de « croissance ».
On va parler de décroissance, alors ? « Ce n’est qu’une des interprétations possibles, me reprend Charlotte de Remises en cause. Chacun entend ces deux constats comme il le souhaite. » La formulation exacte est essentielle et on me corrige à de nombreuses reprises. Isabelle d’EcoEchos insiste : « Ces phrases sont bien construites, elles nous laissent libres de débattre et d’avoir nos opinions personnelles. D’être des freemen quoi. » « On parle tous de choses différentes sur nos blogs : culture, politique, écologie, philo... Ce qu’a fait Francesco Casabaldi, c’est trouver le plus petit dénominateur commun. » résume Benoît de Tristram Shandy.
Francesco Casabaldi, c’est l’auteur du blog A tous les hommes libres, où a été publié, il y a un an et demi, « l’appel des freemen ». D’abord une trentaine, ils sont maintenant près de cent à avoir rejoint la communauté. JCM préfère le terme de « lieu » car c’est là où se rencontrent, discutent et échangent les membres du réseau. Des collaborations ponctuelles ou durables se mettent en place, des amitiés se nouent. Toujours à égalité les uns avec les autres. « Si quelqu’un prétend parler au nom des freemen ou imposer quelque chose, immédiatement des voix s’élèvent » m’explique Dilettante.
Pour Claire, « le réseau porte ces idées et c’est essentiel qu’elles se propagent. Ce sont des constats d’urgence ! »
Innocemment, j’amène Nicolas Hulot dans la conversation ,qui tourne immédiatement au vinaigre. « Chacun a son avis là-dessus, va sur les blogs pour le connaître » attaque Charlotte. « Pourquoi tu nous parles de lui et pas du Produit de Bonheur Brut que la Thaïlande va adopter comme mesure du progrès de la société ? » m’accuse Benoît. Le calme revenu, Laurent, de La liste à suivre, développe : « Chaque freemen est libre de ses convictions. Si une personne publique amène au grand jour nos constats, on est content. Mais nous sommes tous libres de nos opinions et de nos déclarations sur nos blogs. »
En parallèle à la société
Avec si peu de contraintes, est-ce que l’appartenance au réseau change la façon de bloguer ? « Dans mes objectifs, oui. Explique Hugo. J’avais une pratique narcissique du blog. Maintenant il y a cette idée de réseau, de partage. » Ca me rappelle une jolie formule du mail de Jean-Pierre, d’Adamante : « l’anneau free(wo)men me fait voyager dans la diversité ». De son côté, Isabelle confesse qu’elle se sent tellement bien dans le réseau qu’elle ne regarde quasiment plus que des blogs freemen !
Quelques jours plus tard, en sortant des Halles, j’ai croisé un cortège qui remontait la rue Etienne Marcel avec drapeaux et banderoles. Entre deux haut-parleurs, j’ai aperçu Hugo, Claire et Sab qui piétinaient sous la pluie. « Où en est ton article ? » m’a demandé Hugo. Un peu honteux, je n’osais confesser que, lui aussi, piétinait. « Tu connais Francesco Casabaldi ? » Quelques mètres plus loin, je rencontrais le grand brun trempé. La manif, c’était pour Oaxaca, ville mexicaine en état de siège, oubliée de l’actualité. Sujet central chez les freemen, emblématique pour Francesco Casabaldi : « C’est un bon exemple : les infos circulent à grande vitesse parmi les freemen à ce sujet. Ca se fait en parallèle à la société, aux médias, aux responsables politiques. Des connections spontanées se créent dans le monde entier. J’en ai vu entre des paysans indiens et des ingénieurs de la Silicon Valley, par exemple. Ces gens ne se sont jamais vus, mais ils partagent une autre idée du monde. Plus le Net va se développer, plus il y aura de formes nouvelles de réseaux. » Ca y est : il me manquait juste ce mot-là. Les freemen sont une utopie numérique.
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