Que s’est-il passé avant. A partir d’une photo, imaginer la chaîne d’événements ayant conduit à cette situation. Cycle : un violon flotte à côté de la tête d’un nageur.
Il a intérêt à me le remonter. Crétino, stupido. J’aurais dû m’en méfier, de ce planton fébrile. Pourtant je m’approchais tranquillement, j’avais rendez-vous après tout. L’ambassadeur du Bengale m’avait commandé un solo de Bach pour le mariage de son fils. Do, sol, ré, la, en traversant le Rialto, je répétais en moi-même le tourbillon des accords.
Au bout du pont, la grille du palais, haute et hautaine.
Je ne sais pas trop ce qui lui a pris au ptit soldat,
sans doute s’est-il imaginé que je transportais une
arme dans la housse. Il s’est rué sur moi, m’a jetée à
terre, en vociférant des mots inconnus. La malle a
craqué sous le choc et mon violoncelle a glissé sous
la rambarde. Maintenant mon trésor flotte sur la
lagune. Les touristes attroupés s’extasient sur la
patine de ses courbes. D’autres louent le courage de
ce nigaud, qui a plongé dès qu’il a réalisé son
erreur. Il peut bien choper une pneumonie, si vous
voulez savoir ce que je pense. Tant qu’il n’abîme pas
les quatre fils d’acier tendus, mes cordes vocales.
Do, sol, ré, la, la seule façon de montrer que je suis
là.
Il y a 25 ans, en Sicile, je suis née sans voix. Mes
parents non plus n’ont rien dit, paraît-il, quand les
docteurs ont avoué leurs successives impuissances. On
est pas des bavards dans la famille. Mon père surtout.
Les gens disent que c’est à cause de son métier. Moi
je m’en fichais, j’aimais bien jouer dans les copeaux
échoués sur le sol de son atelier.
Un matin de juillet, sans un mot, mon père a quitté le
village. Sur ses épaules, il avait accroché trois de
ses plus belles planches. Erable, pin et ébène. Un
mois plus tard, mon père était de retour, toujours le
dos courbé. Mais cette fois-ci, il portait le cadeau
de mon sixième anniversaire. Do, sol, ré, la, depuis
j’ai joué pour les foules et les princes. Mon père,
lui, fabrique encore des cercueils.