L’anniversaire de la mort de Franco a été commémoré en Espagne sur fond de tensions. Un militant antifasciste de 16 ans est mort poignardé alors qu’il s’opposait à un rassemblement de néo-nazis. Tout porte à croire que ces conflits autour du 20 novembre, dit le « 20N » sont dus à la difficulté pour l’Espagne d’effectuer son « travail de mémoire ». Pour François Godicheau, spécialiste de l’histoire espagnole, la situation est plus complexe.
Assiste-t-on aujourd’hui à la fin de l’oubli des blessures de la dictature en Espagne ?
François Godicheau. Il n’y a jamais eu véritablement d’oubli. De nombreux travaux datant de la transition démocratique ont été réalisés autour de cette période. Mais ils ont en quelque sorte cryogénisé la guerre. La société espagnole a fui le retour sur ses blessures. On a voulu privilégier le vivre ensemble. Le Franquisme a même été minimisé dans certains livres scolaires. Mais depuis une dizaine d’années, on remet en cause ce consensus qui piétinait les victimes du franquisme, alors même que les morts franquistes disposent encore de centaines de plaques à leur mémoire. Le travail de mémoire se fait aujourd’hui, mais ce n’est que le début...
Pensez-vous que les compromis de la loi de mémoire votée le 31 octobre sont suffisants pour les victimes ?
C’est une loi d’équilibre. Elle condamne le franquisme et supprime tous les symboles de cette période. Elle empêche également les nostalgiques de Franco d’aller commémorer sa mort. Le lieu où se trouve la tombe du Caudillo va d’ailleurs être transformé en musée sur la guerre civile et la dictature. Mais la ley de memoria [NDLR : loi de mémoire] reconnaît les victimes de cette guerre à gauche comme à droite. Il est difficile d’obtenir un consensus autour de la condamnation officielle du franquisme en Espagne. Une bonne partie des tensions repose sur le fait que la « transition démocratique » elle-même a été enfantée par les franquistes. C’est Franco qui a appelé le roi Juan Carlos à lui succéder et ce sont des franquistes dits « de gauche » qui ont entre 1975 et 1978 défini le processus transitionnel.
Qui sont ceux qui manifestent pour commémorer la mort de Franco ?
Jusqu’à présent, ceux qui se rendaient au Valle de los Caidos répondaient surtout à l’appel des groupuscules phalangistes*. Eux sont extrémistes. Ils ont jusque-là été tolérés parce qu’en Espagne, une part de la population ne rejette pas totalement cet héritage. On peut comparer cela à l’attitude d’une partie de la société française par rapport au maréchal Pétain. En Espagne, l’idée que la guerre était une saignée nécessaire, une guerre fatale que Franco a bien mené, est encore présente dans beaucoup d’esprits. Quant au danger que représenteraient ces groupuscules, il ne faut pas l’exagérer. Les manifestations qui ont eu lieu une semaine avant le 20 novembre étaient avant tout des manifestations xénophobes contre les immigrés et avaient peu à voir avec la mort de Franco. Le pourcentage d’immigrés en Espagne est passé en 10 ans de 1,6 à plus de 10 %, dans une société qui n’avait jamais connu d’immigration. La xénophobie aujourd’hui en Espagne dépasse très largement le petit phénomène phalangiste. Il ne faut pas tout confondre. A présent, toutes les manifestations de commémoration du « 20N » vont être interdites, mais les manifestations de droite xénophobes et pourquoi pas d’extrême-droite vont sans doute se multiplier.
Ecouter un autre point de vue, celui de Carolina Bonache, une jeune Espagnole militante de gauche.
(...) Et, à écouter également, "Le travail de mémoire", vu par Carolina Bonache.
* La Phalange est le parti nationaliste et fascisant dont l’idéologie a été reprise par le régime franquiste. La « Falange Española de la JONS » existe encore aujourd’hui. Elle est officiellement inscrite au registre du ministère de l’Intérieur. Les phalangistes ne se définissent pas comme un parti d’extrême-droite. Le « 20N » est selon eux l’occasion de commémorer la mort de leur fondateur, José Antonio Primo de Rivera, et non pas celle de Franco.
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