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Portrait

La chambre froide de la justice

par Julien Bouissou [27ème promotion].
Article publié le jeudi 9 mars 2006.
 
Hervé D., 34 ans, boucher-charcutier originaire de Béthune, attend toujours son procès pour prouver son innocence, après un an passé en détention provisoire.

Lorsqu’il est sorti, il avait l’impression d’avoir « plein d’yeux sur lui » et était ébloui par la lumière du « dehors », celle du petit matin. Avant de prendre le RER, il s’est assis dans un bistro, a bu sept cafés, et retrouvé le goût des cigarettes blondes, le temps de « cogiter et d’écouter les gens ». Il y a une demi-heure, il quittait la maison d’arrêt de Nanterre. Maintenant le « vacarme du café » avec les rires, et les phrases du genre « comment ça va ? » le rassurent.

Puis Hervé se rend à la gare du nord, saute dans le premier train pour Béthune, histoire de raffraichir la mémoire de son enfance avant de revenir à la vraie vie. Il ne se souvient plus d’aucun numéro de téléphone, seulement des adresses. En lui ouvrant la porte, son oncle l’accueille d’un « tiens comment ça va ? ». « Bah tu vois, j’ai toujours pas besoin d’élastique pour sourire » lui répond-t-il. Il a découvert grâce à lui le métier de pompier volontaire qui le fait maintenant tant rêver. C’est avec lui qu’il est allé en prison, la première fois, à la maison d’arrêt de Béthune, « sauver les vies des prisonniers qui pétaient les plombs ». Fourchettes plantées dans la gorge, pendaisons, veines coupées, il connaissait déjà la vie en prison. Lorsqu’il passe un coup de fil à sa mère, il entend les larmes lui monter aux yeux. « Qu’est ce que tu fais là ? » demande-t-elle. «  c’est un imprévu, explique-t-il, j’ai appris hier que j’étais libéré ce matin ». Il court la retrouver, mais la rencontre est glaciale. Elle lui reproche « d’avoir fait des bêtises ». Lui a beau expliquer que « tout le monde peut aller un jour en prison sans faire de bêtises, et qu’il n’y a pas que les truands qui y vont », personne ne veut comprendre. La réputation de la famille en a pris un coup. Las de se justifier, il prend sa valise et regagne la capitale dans l’après-midi avec une idée en tête : recommencer sa vie là où il l’avait arrêté, un an de détention provisoire plus tôt.

Ce que la justice lui reproche, c’est d’avoir effectué plus de 50 paiements avec des chèques volés en 48 heures. Ses yeux s’ouvrent en grand, ses larges poings se crispent : « A l’été 2004, je suis descendu à Saint-Tropez pour travailler comme saisonnier chez un boucher. Un soir, sur la place des Lys, je rencontre des gens qui m’invitent à dîner, ils deviennent vite des amis et proposent de m’héberger ». Le lendemain matin, il se retrouve avec des chèques volés dans sa valise et des policiers en face de lui. Ses amis l’accusent de vol. Lui clame son innocence, réclame des preuves supplémentaires, demande qu’on relève les empreintes sur les fameux chèques, ou qu’on lui demande son emploi du temps comme dans les vrais films policiers. En vain. Remis en liberté conditionnelle, il est arrêté quelques jours plus tard à Paris, un matin de septembre, alors qu’il sort de chez lui.

J’avais l’impression qu’on m’avait oublié

48 heures après, il est incarcéré à la maison d’arrêt de Nanterre. Aux quartiers des « arrivants », il occupe ses premiers après-midis en écrivant à sa famille, à qui il demande de ne pas lui rendre visite. Il partage sa cellule avec des détenus, « on est tous peineux, on a déjà tous nos malheurs, alors si en plus il faut porter ceux des autres...le plus souvent on se parlait pas ». Parfois, il écrit aussi le courrier de ses codétenus. «  Alors vous êtes devenus écrivain ? » lui lance un jour le directeur du bâtiment, se souvient Hervé, le sourire aux coins des lèvres. Puis il déménage dans le bâtiment B où il travaille au 1er étage, celui des métiers de la bouche, d’abord au froid, qu’il connaît grâce à son métier de boucher, puis au chaud, aux barquettes. 7 jours sur 7, car le responsable de cuisine l’aime bien. Fini le travail sur les viandes courtes, viandes longues. Finies les belles entrecôtes, couleur rouge vermillon, les onglets, les bavettes, sujet sur lequel Hervé est intarissable. Il doit se contenter des saucisses de Francfort. Trois par barquette, 2700 barquettes par jour. Son salaire est de 195 euros par mois et s’il travaille bien, il a le droit, le week-end, de rapporter quelques kiwis et yaourts dans sa cellule. S’il travaille vite, il a le temps d’aller à la bibliothèque l’après-midi. Il lit les faits divers dans le Parisien, emprunte des bouquins sur les vieilles voitures, les Pompiers de Paris, et surtout, lit le code pénal : « Il faut savoir aller dedans, c’est pas évident de le lire. Mais je voulais savoir pourquoi j’étais emprisonné. Mon avocate ne répondait pas à mes courriers, j’avais l’impression qu’on m’avait oublié ». C’est là qu’il apprend qu’il peut avoir accès aux procès verbaux de son jugement, en fait la demande, mais n’obtiendra jamais de réponse. Sinon, il se rabat sur le guide du prisonnier pour connaître le «  droit qu’on a, même en prison. »

Le mot prisonnier, c’est pas un mot à sortir devant tout le monde

Le jour où il apprend qu’il va sortir, il laisse aux copains son ventilateur, son transistor, et se débarrasse de tout, sauf de son numéro de détenu qu’il n’arrive pas à se sortir de la tête, le 23425N. Hervé dit s’être vraiment « relâché » il y a quinze jours. « On sait ce qu’on a vécu mais pour en parler c’est très dur. Il faut avoir le coeur lourd et bien accroché pour tenir en prison ». Et puisque « le mot prisonnier, c’est pas un mot à sortir devant tout le monde » , il parle dorénavant de vie de château pour décrire sa vie de détenu, y compris à ses amis.

Heureusement, son employeur l’a repris, quatre jours après sa sortie mais, dans une autre boucherie que celle dans laquelle il travaillait auparavant, histoire de ne pas avoir à se justifier devant tous les clients qu’il n’a plus revus. « t’as pas touché un couteau pendant un an, et tu n’as pas perdu la main » lui félicite son employeur. Il en est maintenant très fier. Son procès n’ayant toujours pas eu lieu, il profite encore d’avoir un casier judiciaire vierge pour tenter sa chance aux Pompiers de paris. Demain, il va retourner derrière le comptoir avec le tablier et la cravate qui lui ont tant manqué. Et puis il va dénerver, désosser et dépiécer avec dans son esprit ce procès qui doit arriver bientôt mais qu’il attend toujours.


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