Bernard Mourad décrit dans son premier livre d’anticipation l’emballement, terrifiant mais vraisemblable, du monde de la finance qu’il côtoie au quotidien.
Un code barre, tatoué sur une poitrine d’homme. Bernard Mourad voulait une image bien précise pour la couverture de son premier roman, Les actifs corporels. Son personnage principal, Alexandre Guyot, incarne le premier être humain à s’introduire en bourse. Experts gesticulants, ministres perclus d’ambition, le microcosme des finances et de la communication entame un manège dont Alexandre va bientôt se retrouver prisonnier. Car une fois coté en bourse, l’individu devient un produit comme un autre, objet d’analyse et condamné à la rentabilité.
Bernard Mourad, ancien élève de Sciences-Po et d’HEC, aujourd’hui banquier d’affaires, connaît tous les ressorts du fonctionnement des marchés. Sans la condamner, il s’est juste amusé à pousser la logique du libéralisme à l’extrême. Le roman d’anticipation bascule dans l’ironie glaçante lorsque de plus en plus d’individus se lancent dans la « nouvelle économie individuelle ». La propre mère d’Alexandre Guyot siège ainsi à son conseil d’administration, tandis qu’une collègue desséchée lance une l’OPA pour le forcer au concubinage.
Une histoire originale, un style grinçant, Les actifs corporels ne sont pas l’œuvre d’un professionnel de la littérature. Né au Liban, Bernard a grandi en France. De ses origines méditerranéennes, il a gardé le teint mat et l’élégance de la tenue. Sandwich jambon-beurre, ballon de rouge et cigarette, la pause déjeuner du trentenaire semble sortie d’un cliché pour touristes américains. Parisien modèle, avec le français comme langue maternelle, Bernard se sent tout de même plus proche des auteurs anglo-saxons, « qui n’hésitent pas à chercher des idées originales, à raconter une histoire, et pas juste à rester dans l’introspection ». Confronté professionnellement aux exigences des marchés, il s’est amusé à décrire ce que ces mécanismes feraient d’un être humain. La barrière morale levée, l’imagination peut s’engouffrer dans son texte.
Une critique à la Beigbeder
Bernard boucle son manuscrit en moins de six mois, à la faveur de nuits de sommeil raccourcies. Les petits colis partent pour les maisons d’éditions. Dès lors, « c’est passé dans la quatrième dimension », sourit le jeune auteur. Autrement dit, l’heureuse surprise de se retrouver avec « un bon ratio de réponses positives ». Costume bleu marine, ordinateur de poche et lunettes fines, Bernard garde les attributs de l’expert de la finance. Sans cacher qu’il a parfois un peu de mal à rester concentré sur les chiffres de la bourse depuis que son livre a été publié, « livré au public ».
Au comptoir du café Varenne, Bernard a laissé un exemplaire de son livre pour un autre fidèle des lieux. Frédéric Beigbeder a pu retrouver dans Les actifs corporels un sens féroce de la formule, ainsi que la critique désenchantée d’un univers lui-même sans pitié.
Les droits du roman ont déjà été achetés en Allemagne. Par ailleurs l’ouvrage se prêterait facilement à une adaptation filmique. Pour Laurent Laffont, directeur éditorial chez Lattès, « Bernard Mourad n’est pas l’homme d’un seul roman. Je sais qu’il a d’autres idées, et je lui fais confiance pour qu’elles soient aussi originales ». Le banquier d’affaires serait ainsi devenu une valeur d’avenir sur le marché littéraire.