Depuis plus de 20 ans, Philippe Broussard, chef du service société à L’Express suit le phénomène Ultra dans le sport. Il a notamment publié en 1990 "Génération supporter", dans lequel il raconte son immersion dans divers groupes de supporters en Grèce, à Milan ou à Paris.
Comment régler une fois pour toute le problème de la violence dans le football italien ?
Philippe Broussard . C’est déjà le vingtième mort en Italie à cause de violences liées au foot depuis 1963. Ce n’est donc pas un problème nouveau. Le souci, c’est que l’on réagit au coup par coup. La stratégie de répression n’a pas porté ses fruits. Il faudrait mener une politique de prévention, qui est pour l’heure inexistante. Si en Angleterre, le hooliganisme a en partie été maté par un mélange de prévention et de répression, cela me paraît difficilement adaptable en Italie. La société italienne est tournée vers le clientélisme ; par exemple, quand le président de la Lazio dénonce la violence dans les stades, il va en même temps pactiser avec les leaders Ultras. Tout ça dans le but d’acheter une paix sociale dans le stade.
Quelle est la spécificité du problème italien ?
Il faut rappeler que l’Italie est le berceau du phénomène Ultra. Ce mouvement est né dans les années 1970 dans un contexte politique tendu (NDLR : l’Italie vit alors ses “années de plomb”. Une décennie d’actions terroristes menées principalement par les Brigades Rouges) et a connu son apogée dans les années 1980. Les Ultras sont de grands groupes organisés avec un chef charismatique. Avant, à Rome ou à Milan, il y avait un mec qui disait « on n’y va pas » et les 10 000 autres ne bougaient pas. Mais depuis une dizaine d’années, ils ont perdu leur influence et leur popularité au profit de groupuscules encore plus extrêmes et assez incontrôlables. La corruption et les problèmes de dopage ont renforcé ce phénomène. Ces groupuscules, très attachés à l’identité du club, voient les dirigeants comme des mercantilistes peu soucieux des racines du club et les joueurs sont pour eux des mercenaires.
Peut-on imaginer en France, des supporters marseillais et parisiens "mains dans la main" contre les forces de l’ordre, comme on l’a vu entre ceux de la Roma et de la Lazio ?
En France, le phénomène n’est pas comparable. Déjà, en Italie ce sont deux clubs de la même ville. Mais, l’an dernier, quand un supporter parisien a été tué, un phénomène de solidarité assez étonnant est né entre supporters de clubs rivaux. A Nantes notamment, lorsque le PSG est venu jouer après l’incident, on a vu des représentants des deux clubs défiler ensemble. Mais le phénomène n’est pas descendu jusqu’à Marseille...