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Des fauves au Palais

par Camille Raynaud de Lage [29ème promotion].
Article publié le dimanche 25 novembre 2007.
 
Tous les mois, au Palais de Justice se trament d’étranges soirées aux goût savoureux de délits... d’initiés. Mot de passe : Conférence Berryer. Thème : Jeux du cirque. Armes : Mots. Amoureux de la verve et du verbe, ces batailles sont les vôtres.

« Hélas, comme disait si bien Churchill, “le problème avec les suicides oratoires, c’est qu’on est toujours vivant”. Ton discours, mon pauvre ami, est à l’éloquence ce que la tarte aux boudins aux pommes est à l’art culinaire. Selon Darwin l’homme descend du singe. Tu es quant à toi la preuve que le singe descend plus vite de l’arbre. Et si, comme assurait Badinter, séduire c’est bander et convaincre c’est jouir, tu ne dois pas prendre souvent ton pied. »
La buée dégouline le long des vitres de la petite salle des Criées surchauffée, en ce soir froid de novembre (et de grèves). Les spectateurs sont au rendez-vous comme toujours, venus par dizaines, assis jusque dans les allées, sur la moquette rouge. Au « Palais » (de Justice pour les non-initiés !), une à deux fois par mois, quand les procès routiniers se sont tus et les audiences quotidiennes évaporées dans les illustres boiseries des chaires et des prétoires, le temple de la justice parisienne se métamorphose en arène romaine. Attirant un public nombreux et affamé, d’étranges jeux du cirque y prennent place. Ils ne sont pas d’épées ou de chars mais de mots et d’esprit.
Antre de l’éloquence, havre de la rhétorique, et surtout royaume de la dérision, la Conférence Berryer existe depuis plus de cent ans. Elle rend hommage à un avocat du XIXème siècle, Pierre-Antoine Berryer, célèbre pour son goût du défi et de l’indépendance. Légitimiste et royaliste, il défendit les généraux bonapartistes Cambronne et Ney...
Les conférences Berryer sont organisées par la Conférence du stage du Barreau de Paris, constituée de douze secrétaires, élus chaque année à l’issue d’un concours d’éloquence. Véritable « école de la parole », la conférence du stage hérite également de plusieurs missions, dont la défense pénale d’urgence (permanences au Palais de Justice, défense de démunis lors des procès criminels...).
A chaque secrétaire incombe une tâche particulière. C’est le quatrième qui est en charge de la conférence Berryer. Pour chacune, un invité d’honneur, connu du grand public, est convié. Politiques, artistes, hommes de lettres, religieux, acteurs... La Berryer peut se targuer d’un tableau de chasse orné et varié. S’y côtoient entre autres Gainsbourg, Monseigneur Lustiger, Plantu, PPDA, Fabrice Luchini, Michel Rocard, Patrick Bruel, Florent Pagny, Jean Reno, Roselyne Bachelot, Jean-Marie Messier, Hugues Aufray, Richard Berry... et même en 1999, ... Nicolas Sarkozy !

Dérision, impertinence et raillerie

La qualité, ou le métier de l’invité fournissent les sujets (deux) et donnent le ton, plus ou moins enlevé et fin, mais toujours décomplexé et sans tabou. On citera comme exemple resté dans les annales ceux qu’inspirèrent la venue - médiatisée - de Jean-Marie Messier en 2005 : Premier sujet : « Veni, vidi, Vivendi », deuxième sujet : « L’ego est-il un “je” interdit ? »
Un des secrétaires est chargé de prononcer un éloge « doux amer » de l’invité, lequel possède un droit de réponse. S’ensuit la plaidoirie des candidats (deux, parfois plus), avocats ou pré-stagiaires de l’Ecole du Barreau (EFB), sur l’un des deux sujets au choix, reçu quinze jours auparavant. A chacun de décider de le traiter par l’affirmative ou par la négative. A l’issue de leurs discours, les jeunes rhéteurs se voient chargés par la critique féroce de chaque secrétaire. Apothéose de la bataille, la parole est donnée à un ancien secrétaire, qui joue le rôle de contre-critique : juste retour de bâton pour les douze impitoyables jurés.
La dérision, l’impertinence et la raillerie sont les maître-mots des harangues, déclamées par des orateurs aguerris. La mèche insolente, l’œil provocateur, le menton querelleur, ils manient le verbe avec autant de bonheur que des bretteurs leur épée. Etincelantes, aiguisées, caustiques, et spirituelles, les phrases effilées fusent et s’entrechoquent, la parole rebondit comme un balle insaisissable.
« “Words, words, words...”, eut clamé Shakespeare. De la question de la vanité, de la futilité, et de l’inutilité du “mot pour le mot”. Il s’agit surtout de garder la tradition de l’art oratoire et de l’amour de la parole », affirme Antonin Lévy, quatrième secrétaire et organisateur de la conférence pour l’année 2007.

L’art de séduire

C’est un jeu et un art, habile d’improvisations, vif de répartie, riche de références multiples, fins de rebondissements et grisant de tournures qui fouettent. Séduisant. L’invité de ce jeudi 15 novembre, Philippe Tesson, n’est pas pris au dépourvu par les insolents : rédacteur en chef du journal Combat, puis du Quotidien de Paris, il est entre autres chroniqueur de théâtre au Figaro Magazine. Le journaliste, qui maîtrise non sans malice ni esprit l’art de la joute oratoire, s’est défendu comme un vieux singe à qui on apprend plus à faire la grimace. Dans cet amphithéâtre gonflé d’ironie, de « cassage » gratuit, sans foi ni loi, le rapport de forces s’établit contradictoirement dans le respect de la hiérarchie et des aînés : Les « victimes » prennent leur correction - la plupart du temps injuste, voire cruelle - sans mot dire, avec une humilité, qui pour toute artificielle qu’elle soit, n’en demeure pas moins exemplaire. Pour le « Peuple de Berryer », il ne faut pas en attendre plus, bien sûr, que la jouissance de l’esprit et l’excitation procurée par la mise en scène et le ton théâtrals. La « brillance » l’emporte dans l’instant, prenant parfois des allures jubilatoires de feu d’artifice. Mais l’artifice s’évanouit une fois les portes du Palais refermées. Les fêtards de l’éloquence, derechef affamés, n’ont alors qu’une envie : y retourner.

-  Plus d’informations sur le site internet de la conférence Berryer


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