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Lever de rideaux sur les Editeurs

par Pierre Lalanne-Labeyrie [29ème promotion].
Article publié le lundi 19 novembre 2007.
 

Vous qui entrez dans ce lieu sacré de la république des lettres. Vous qui passez le rideau de velour rouge sur le pas de la porte, relevez la tête. Il faut faire bonne figure car vous voilà sur la scène des Editeurs. Il est 17h, début de la représentation dans ce vaste café littéraire du carrefour de l’Odéon.
Sur votre droite, vous veillez à ne pas écraser la queue du bichon maltais qui somnole aux pieds de sa maîtresse. Vous prenez place sur une des banquettes en cuir rouge. Près de la fenêtre de préférence, pour évader de temps à autre votre regard.
Celui-ci est pourtant attiré par le décor feutré de la salle, ses boiseries sombres, ses tableaux choisis, ses étagères pleines d’ouvrages illustres. Une horloge géante orne le mur du fond ; ses longues aiguilles ont le pouvoir de ralentir le temps. Ce bien si précieux, les habitués des lieux en usent et en abusent. Autour de vous, beaucoup ont passé l’âge d’être pressé. Vous les voyez prendre le temps de penser, de lire, d’écrire. Aux Editeurs, on écrit au Mont-Blanc sur des petits carnets en moleskine, toujours avec distinction. Vous vous sentez obligé de sortir votre bic mordillé pour faire un sudoku. Pour la contenance.
Devant vous, deux hommes sont en grande discussion. La veste usée et les lunettes hublot pour l’un, la barbe fournie et l’air espiègle pour l’autre. Vous tendez une oreille indiscrète dans l’espoir de capter les bribes d’un dialogue d’hommes de lettre. « Connais-tu la théorie de la rétractabilité de la paille flexible ? », demande l’homme à lunettes, démonstration à l’appui. « Si tu tires dessus doucement sur les maillons, ils se déplient un par un. Si tu le fais rapidement, ils viennent tous d’un coup. »
Déboussolé par la futilité de cette conversation, vous vous tournez vers les deux ravissantes jeunes filles assises à votre gauche. Un parfum frais mêlé de tabac vous emporte dans une rêverie solitaire. Le jazz dont on a légèrement augmenté le volume y contribue aussi.

Virginia Woolf

Soudain un serveur vous bouscule et sonne l’entracte. Les bras chargés de fourchettes et autres ustensiles de découpe, il vient dresser les tables pour le dîner. Il est 19h. La nuit tombe doucement. Dans la rue, l’éclairage public a pris le relais du soleil. Les quelques terrasses de bistrot ont fermé. Les silhouettes sont pressées de rentrer à la maison.
Vous jetez un coup d’œil à la salle et vous vous apercevez que plusieurs tables ont changé d’occupants, que l’on s’active du côté des cuisines. Les acteurs qui passent maintenant le rideau sont habillés pour le spectacle. Virginia Woolf vient même de traverser la pièce dans une parure de velour pourpre. Sur la tête, un chapeau à rendre jalouse la Reine mère. L’homme qui l’accompagne lui ôte sa veste. Elle prend place en grande cérémonie, elle parle fort : « Tiens, je vais me mettre à ta place sinon j’aurai vue sur les cuisines toute la soirée. »
Les apéritifs ont remplacé les cafés-crème, la salle résonne d’un brouhaha nouveau. Vous êtes alors indisposé par une âcre odeur de javel. Ca y est, le serveur nettoie les deux dernières tables dont la vôtre. On vous demande si vous voulez dîner. Mais dans ce cas, ce sera à l’étage car la table où vous êtes est réservée. Vous êtes prié de vider les lieux. Vous prenez donc votre manteau, prêt à quitter la scène. C’est alors qu’en levant les yeux, vous tombez sur un détail que vous n’aviez pas remarqué. Une rangée d’étagères est accrochée hors de portée des clients. Sur celle-ci s’aligne une collection de livres en trompe-l’œil. Une fausse bibliothèque en carton, sans relief. Vous avez l’impression d’avoir été berné. Par ce décor factice. Par une mise en scène ratée, par des acteurs pas très convaincants. Et puis, à y regarder de plus près, le bichon maltais est un bâtard, le sky imite bien le cuir des banquettes et les collants de Virginia Woolf sont filés du pied au genou...
Car ici comme au théâtre, tout est illusion.


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