Marc Abelès est anthropologue, directeur de recherches à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS) à Paris. Il est l’auteur de "L’échec en politique", un sujet relativement absent des études scientifiques. Selon lui, « les observateurs de la vie politique française préfèrent décortiquer le parcours des gagnants plutôt que celui des loosers ».
L’échec politique bénéficie-t-il, sur le long terme, à ceux qui le subissent ?
Marc Abélès. L’échec humanise les hommes et les femmes politiques en France. La traversée du désert qu’ils accomplissent bon gré, mal gré, leur donne un supplément d’âme. C’est ce qui s’est passé avec François Mitterrand après 1974. Les commentateurs le donnaient mort politiquement, on connaît la suite. Valéry Giscard d’Estaing est l’exception à la règle. Après 1981, l’opinion n’a pas compris qu’il s’acharne à revenir au pouvoir. Il est parti, et le désir des citoyens de le voir revenir a disparu.
Parmi les prétendants à l’Elysée en 2007, Nicolas Sarkozy a connu également des échecs politiques.
Pour Nicolas Sarkozy, l’opinion ne se souvient pas de sa traversée du désert après 1995, et plus spécifiquement de celle après les européennes de 1999. Elle se souvient en revanche davantage de sa traversée du désert sentimental. La rupture avec sa femme, en 2005, l’a beaucoup plus humanisé que la défaite d’Edouard Balladur qu’il soutenait ardemment aux présidentielles de 1995. S’il perd l’élection de cette année, il s’agira véritablement de son premier échec politique. On ne peut parler d’échec qu’après 50 ans.
Alain Juppé au Québec, Lionel Jospin à l’île de Ré, pour se faire désirer, les hommes politiques ont-ils besoin de s’exiler ?
On peut même rajouter à la liste Charles De Gaulle, ou Georges Clemenceau. L’exil politique est une longue tradition française. Il permet d’adopter la figure du sage qui va se ressourcer et que l’on consulte à l’occasion. Cette figure, on la retrouve chez les Romains. Sous la IVe République, Pierre Mendès-France l’a incarnée. Désormais, la position du sage retiré n’est pas tenable longtemps. La rapidité des médias empêche les retraits trop longs. Un homme politique ne pourrait plus se permettre aujourd’hui une traversée du désert comme De Gaulle. Un Sarkozy vient vite en remplacer un autre.
Les hommes politiques ne se résignent jamais à leur échec ?
Non, et c’est une spécificité française. Un homme politique qui a échoué ne peut que revenir en politique dans notre pays. Aux Etats-Unis, on a vu, par exemple, Al Gore se recycler dans l’écologie et le cinéma. Le problème des hommes politiques français c’est que plus ils avancent vers le sommet, plus ils sont bloqués pour revenir au même niveau en cas d’échec. Le cas de Philippe Séguin est intéressant. Il est le premier a voir réussi sa réintégration dans la haute administration (ndlr. Philippe Séguin est président de la Cour des Comptes). Mais dans le contexte français, on interprète ce parcours comme une décision par dépit. Cette vision est appelée à évoluer. Les hommes politiques s’usent de plus en plus vite, leurs carrières sont de plus en plus courtes, ils seront obligés d’apprendre à se recycler.
∗ Marc Abélès, L’échec en politique, éd. Circé, 13,50 €
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