Comme un entomologiste, François Riou travaille depuis deux ans à la constitution d’une collection de "phonéoptères", insectes taillés à partir de mobile et de portable. Visite de son antre poétique.
L’atelier de François Riou à Montreuil tient de l’inventaire à la Prévert. A l’entrée, deux cartons débordent de téléphones portables. Un peu plus loin, une boîte orange où sont soigneusement classées les touches de mobiles selon leur taille et leur fonction. Pêle-mêle s’amoncellent des branches de bois, un masque de Donald recouvert de circuits imprimés et de drôles de fauteuils faits d’écrans d’ordinateur et de claviers. Sur une large table très basse, des dizaines d’insectes sont alignés comme une phalange romaine. A y regarder de plus près, ces bestioles semblent inoffensives. De longues et fines pattes et une carapace 100% digitale. Certaines sont épinglées et mises sous verre comme le ferait un "entomologiste". Bêtes à bon Dieu ou mantes religieuses, ce sont tous des "phonéoptères". Comprenez des insectes high-tech.
Dialoguer avec les machines
L’artiste, pas un cheveu sur le caillou, prévient : « je me suis toujours intéressé aux déchets en général, car ils existent depuis qu’il y a de la vie. A l’heure actuelle, les déchets technologiques deviennent un problème. Comment va-t-on pouvoir réguler ce torrent d’ordures ? Avec les "phonéoptères", j’essaie de redonner une deuxième vie à des objets qui paraissent vulgaires ou banals. » Et de citer Armand et César, deux artistes qu’il apprécie et dont il reprend la démarche de recyclage.
Depuis deux ans, son œuvre interroge : comment ces objets ont changé notre quotidien, notre façon de communiquer, nos habitudes ? Pour lui, ils ont simplifié notre rapport au monde. « Aujourd’hui, nos appareils ont tous des touches. Pianoter devient le seul acte physique du monde numérique, détaille le sculpteur qui pointe du doigt une forme arachnéenne composée des touches 2 5 8 d’un téléphone portable. J’ai envie de réhumaniser ce monde un peu froid où l’on se retrouve à dialoguer avec des machines. »
De l’art écologique
Ses sculptures sont en effet souvent ludiques. Au fond de son atelier, deux nains fétichistes grisâtres, hauts comme trois touches, symbolisent notre « adoration » des nouveaux outils technologiques. « Ces nains de bureau sont également un clin d’œil aux fétiches africains et aux religions primitives que j’apprécie, signale-t-il. Comme un élastique, mes œuvres essayent de représenter à la fois une idée qui renvoie aux origines de l’humanité, et une idée contemporaine. Si possible, je tente de faire le grand écart avec humour et pertinence. »
Sous son chalumeau, nos rebus numériques deviennent la matière première de ses oeuvres. C’est cet aspect de son travail qui a intéressé Foneback, constructeur de téléphones portables et leader européen du recyclage de mobile. La société lui fournit maintenant sa matière première. « Utiliser des composants électroniques et des touches de téléphone, c’est une manière de faire de l’art écologique. Plutôt que d’utiliser des tubes de peinture polluants, je recycle du plastique. » Et de comparer sa démarche à celle de l’art brut et des dadaïstes : « je réalise ces objets sans chercher à les comprendre. »