Alors que les autorités iraniennes resserrent leur emprise sur la presse, les journaux iraniens en ligne échappent à la censure grâce à d’habiles stratagèmes technologiques. Les rédacteurs de deux journaux d’oppositions témoignent.
« Rooz » signifie « Le jour » en persan. Ce quotidien iranien n’existe que dans sa version Internet. Il a été créé en 2005 par des journalistes iraniens exilés aux quatre coins de la planète. La plupart de ces rédacteurs, plutôt proches des réformateurs, ont connu la prison en Iran. Certains journalistes résident encore dans le pays. Ceux-là préfèrent signer leurs articles avec un pseudonyme, sauf lorsqu’ils jouissent d’une notoriété telle qu’elle leur assure la protection, comme Shirine Ebadi, juge iranienne et prix Nobel de la paix 2003. Dans les colonnes de « Rooz », ils prennent le risque d’user d’une liberté d’expression totale. « Il est important pour nous de dénoncer les cas de violation des droits de l’homme en Iran », souligne Hossein Bastani. Membre de la direction du journal en ligne, il a successivement travaillé dans douze journaux iraniens, tous contraints à la fermeture, les uns après les autres.
Un seul journal, plusieurs adresses
« Rooz » est mis en ligne à partir des Pays-Bas mais le quotidien est publié à l’heure de Téhéran. Il est destiné aux Iraniens résidant en Iran. Le problème pour ses lecteurs :« Rooz » est filtré. Les autorités iraniennes utilisent un moyen haute technologie pour empêcher d’accéder au site, à partir de l’Iran. « C’est un jeu permanent, confie Hossein Bastani. De temps en temps on modifie l’adresse de notre site. Mais chaque fois, les autorités découvrent la nouvelle adresse et on doit encore changer de nom. On rajoute un 0 à la place d’un o. On modifie le nom de domaine ».
Le site du quotidien en ligne "Rooz" est filtré par les
autorités
Avant que « Rooz » ne soit pourchassé, le journal enregistrait jusqu’à 140 000 connections par jour. Aujourd’hui, il fonctionne avec un système d’abonnement gratuit.
Le journal est envoyé par mail aux abonnés iraniens, un moyen de contourner les filtres. Ils sont 20 000 à recevoir « Rooz » tous les matins dans leurs boîtes.
Des Iraniens invisibles sur le net
« Kar » est un autre journal en ligne, plus politisé encore. Il s’agit de l’organe d’un parti iranien de gauche en exil, les Fedayans du peuple. Le journal en ligne a été créé en 2004, en Allemagne. Mais « Kar » existait déjà en version papier depuis la Révolution iranienne de 1979. Il a vite basculé dans la clandestinité. « Dans les années quatre-vingts, « Kar » était imprimé en format de poche, sous forme de petit bulletin A4, de façon à le dissimuler facilement dans un courrier. C’était la seule manière de l’introduire en Iran, raconte Forud, le rédacteur en chef du journal. Aujourd’hui grâce à Internet, et avec l’aide d’un bon proxy, les Iraniens peuvent avoir accès librement au journal ». Ce système anti-filtrage rend l’internaute invisible sur le net, en modifiant son adresse IP. Alors que les filtres évoluent sans cesse pour mieux bloquer l’accès aux sites, de nouveaux proxy sont créés pour détourner ces blocages. Entre deux ruses électroniques, les journaux en ligne survivent. Plus d’une cinquantaine de journaux de tous bords sont recensés sur Gooya, l’annuaire des médias iraniens. Certains sont devenus des interlocuteurs sérieux pour les hommes politiques au pouvoir. Les religieux, les réformistes et même des conservateurs radicaux acceptent d’être interviewés par les journalistes de "Rooz". « Ils savent que leurs paroles vont être lues par beaucoup d’Iraniens », explique Hossein Bastani. Un signe de reconnaissance pour le journal en ligne hors la loi.