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Jason, Ralph, Adrienne... et moi (par Ludovic Barth)

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Article publié le dimanche 5 mars 2006.
 
Que s’est-il passé avant. A partir d’une photo, imaginer la chaîne d’événements ayant conduit à cette situation. Cycle : un violon flotte à côté de la tête d’un nageur.

J’avais réussi à me faire engager comme vigile dans ce grand hôtel pour ce qui devait être “la” soirée de gala de la décennie. J’avais dû pour cela jouer de mes contacts, passer des entretiens, être décisif à chaque fois. Entrer dans la peau d’un personnage aux antipodes de sa propre personnalité n’est pas donné à tous. Ici, il me fallait rassembler les qualités du gros bas, de l’agent secret et de l’escort boy à la fois. “Tu es le plus James Bond d’entre nous” m’avait glissé Jason, le sourire complice au coin de l’oeil. C’était vrai. Mais quand même : pouvoir à la fois contrôler, observer, débusquer, intercepter si besoin, et, qui plus est, s’adresser aux convives avec correction... J’avais dû la jouer serré. Seul, mais finalement avec brio.

Ce soir-là, toute la “haute” s’était donné rendez vous dans cette bâtisse isolée, située à plusieurs bornes de toute voie de communication. Près de cinq cent couverts, autant de bouteilles de champagne, de homards en bisques, de poires belle-Hélène nappées de coulis d’anchois... A l’instar du menu, l’affiche était alléchante : patrons, hommes de médias, politiques, officiels, négociants de toutes sortes assortis de leurs compagnes d’un soir... bref, le gratin du gotha, “mélange de gros tas et de catins”, avait subtilement ajouté Jason, mon boss. Le cachet de la soirée valait bien ces efforts, mais je n’étais pas là pour ça. Encore moins pour répondre aux regards lubriques de toutes ces donzelles qui immanquablement ne rêveraient que de m’accueillir dans leur couche.

Ralph, lui, arriverait en smoking Armani avec Adrienne à son bras. En 205 rouge. La classe internationale en somme. J’avais suggéré à Jason de louer une caisse un peu plus branchée, mais, avait-il répondu, “c’est une soirée jet set où l’extravagance tiendra sa place. Et puis les riches sont aussi des beaufs”. Jason arborait un style des plus sobre : boots croco éperonnées, stretch-sky un peu court, veste blanche, favoris en forme de lame de cimeterre qui sublimaient un catogan parfait. Très implanté dans le milieu, il avait osé quelques pronostics en montant sur ses grands cheveux : “Le fils coloré viendra en fuego avec une vietnamienne de 13 ans et Alain Mince, le pote de son père en veste-blue-jean-baskets à trois scratchs”. Pour le coup, le boss en imposait.

Il avait bien ficelé son scénar’. J’étais dans la place, à un poste stratégique. J’avais été désigné électron libre, à savoir ni chef surveillant, ni préposé aux “bonsoirs” de la porte d’entrée. Libre, donc. Ce qui allait être primordial en vue de la suite des événements. Ralph et Adrienne devaient dîner aux côtés de la cible et détourner son attention le temps que Jason agisse. Moi, j’étais en couverture et devais permettre sa sortie, en toute discrétion. Facile mais tendu, comme disent les jeunes. “Il va falloir soigner le timing” avait prévenu Jason, dès nos premiers briefings. Des semaines de préparation pour un minimum d’action chaude. Très frustrant d’un côté, mais il suffisait de penser au butin pour retrouver tout son appétit...

Car la cible devait conclure une “affaire” avec des clients japonais à l’heure du café-barreau de chaise, entre le dessert et la boum orchestrée. Jason n’en avait pas dit plus que ça, mais ça flairait le gros coup. Il s’était contenté d’annoncer le montant du magot : deux cent cinquante mille dollars en petites coupures, agrémentées d’un lot de culottes 8-10 ans usagées, comme en raffolent les truands du pays du soleil lavant. Wouahou... En privé avec Jason, j’avais pris une option sur les culottes, mais c’est vrai qu’un peu d’argent, ça ne se refuse pas. De toute façon, on verrait ça plus tard.

L’arrivée, quoiqu’un peu clownesque, se déroula sans accroc. Placé à l’entrée, j’eus un peu de mal à me retenir quand le couple complice fit son apparition. Ralph avec sa fausse banane à la Dick Rivers était irrésistible. A table d’ailleurs, il fit un carton auprès de la cible. Comme prévu, celui-ci avait placé la mallette garnie par terre à ses côtés, car les gens de son espèce ne font confiance à personne, c’est bien connu. En tout cas Jason, lui, le savait. Le moment se rapprochait. Fricassée de bisque de homard sur son lit de gelée de fenouille, veau aux morilles et macédoine confite de saison sauce chocolat amer... Jusqu’ici tout se passait bien. Le fromage devait arriver, et j’espérais qu’Adrienne n’avait pas oublié le code. Ralph avait engagé la conversation sur les labels AOC, la protection de l’affinage... “Mûrir un camembert à Belfast n’aurait aucun sens, ne trouvez vous pas ?” Jason vous le dirait, lorsque le rire accompagne l’érudition, cela rime avec distraction.

Encore une fois je m’inclinais devant sa science, car ce qu’il avait prédit se réalisa. Le mot de code finit de dissiper la cible qui se prit la tête dans ses mains lorsqu’ Adrienne s’écria pleine d’élégance : “Mon dieu quel Brie !!!” Le monsieur Brie n’était autre que Jason qui, sitôt le plateau déposé repartit avec la mallette au trésor.

Pendant quelques secondes, j’ai cru que tout se passait bien. J’accompagnais le boss vers la sortie, par les loges. L’orchestre se préparait à se mettre en place, chose que nous n’avions pas prévu. Au lieu de la minute trente initiale pour évacuer les lieux, trois minutes passèrent. Largement assez pour que la cible se rende compte du forfait et sonne l’alarme. Du coup, lorsque j’arrivai à la porte du parking, où notre 205 nous attendait, je dus faire preuve de persuasion en assommant trente-deux de mes collègues vigiles. Trop tard. Il fallait récupérer les deux autres le temps que Jason fasse chauffer le diesel. A peine remonté, je vis Ralph entre trois balaises, la Dick Rivers en main, vociférant, jurant, Adrienne leur lançant du brie... Dans ces cas là, on fait ce qu’on peut.

Ils étaient cuits. Ne me restait que la fuite. Je descendis dans les loges, attrapant au passage le premier objet venu. Un violoncelle. Sans archet, sans housse, allais-je pouvoir passer pour un des musiciens ? Je comptais sur mon profil d’artiste pour faire illusion. Elle dura quinze secondes. Le temps de franchir la porte du parking que Jason avait quitté depuis déjà bien longtemps, et de commencer à courir, tout droit. Vers la falaise. Là, beaucoup de questions se heurtèrent dans mon esprit préoccupé. Un violoncelle fait-il un bon parachute ? Une bonne bouée ? Mais au fait, une fois dans l’eau, que se passe-t-il ? Et ensuite ? Jason me gardera-t-il les culottes pour ma sortie de prison ?

Plouf ! “Waouh qu’elle est froide !”

À peine le temps d’un deuxième juron que je me retrouve survolé par un hélicoptère, la tête au milieu de cercles concentriques qui, vague après vague, éloignent ma bouée, et mon seul espoir d’alibi... Et merde.


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